Dialogues et Trios avec piano

Dimanche 1 juin 2025 – 17h00

François Pineau-Benois1, violon
Aurélienne Brauner2, violoncelle
Lorène de Ratuld3, piano

Musique de chambre
Les compositeurs de musique de chambre ont souvent réuni le piano, le violon et le violoncelle, dont les fonctions ont d’ailleurs évolué avec le temps. Une préoccupation est cependant demeurée : aller à l’essentiel et, avec un effectif réduit, permettre à la musique d’exprimer une large gamme d’affects.

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Joseph Haydn (1732-1809)
Duo pour violon et violoncelle en ré majeur Hob.X.11
Ce duo a été conçu à l’origine pour deux barytons. Si le terme de baryton est généralement associé à un type de voix masculine, on ignore souvent qu’un instrument à cordes porta aussi ce nom. Issu de la viole de gambe, le baryton était, à l’époque de Haydn, quelque peu démodé. Ce curieux objet comprenait deux types de cordes, les unes frottées avec l’archet et par derrière, des cordes métalliques qui résonnaient en sympathie avec les premières, mais pouvaient aussi être pincées avec le pouce de la main gauche, ce qui obligeait l’interprète à des contorsions manuelles. Le Prince Nicolas Esterhazy, qui employa Haydn durant plusieurs décennies, pratiquait cet instrument avec passion et le compositeur lui fournit de quoi se faire plaisir puisque l’on connait quelque cent-vingt-six Trios pour baryton, généralement avec alto et violoncelle. On a aussi conservé aussi des Duos pour baryton, composés vers 1765-1766, dont celui en ré majeur au programme. Il comprend trois mouvements : un Moderato charmant et mélodieux discrètement lyrique, un Minuetto très stylé et un Presto déluré mais point trop, le tout dans un goût parfaitement aristocratique. En toutes circonstances, la partie confiée originalement au baryton mène le jeu, son partenaire lui servant de faire-valoir.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sonate pour piano et violon n°21 en mi mineur KV.304
La Sonate en mi mineur fait partie d’un groupe de six, communément désignées sous le titre de « Sonates palatines » car elles furent dédiées à l’Electrice du Palatinat. Elles datent des premiers mois de l’année 1778 et furent composées à Mannheim et à Paris (cette sonate, quant à elle, est bien née parisienne, ce qui en fait la contemporaine d’œuvres importantes comme la Concerto pour flûte et harpe, la Symphonie concertante pour instruments à vent…et malheureusement, du décès de Madame Mozart qui avait accompagné son fils à Paris. La Sonate n°21 est la seule du groupe composée en mode mineur. La solitude parisienne de Mozart, dont le séjour parisien fut un échec, se reflète dans les sentiments pathétiques de cette Sonate. Indubitablement le sommet de cette série « palatine ». Pour la dernière fois, Mozart se contente de deux mouvements. Mais l’Allegro initial montre d’emblée que les sentiments purement subjectifs dominent ici avec son développement et sa réexposition également orageux, consolidés par un usage efficace du contrepoint. Le Minuetto n’apporte aucune détente malgré sa section centrale (trio) ensoleillé en mi majeur, car celle-ci est suivie d’une reprise condensée du thème initial se terminant abruptement en mineur.


Clara Schumann (1819-1896)
Andante du Trio pour piano, violon et violoncelle en sol mineur, op.17
Composé par Clara en 1846, le Trio en sol mineur est considéré comme l’une de ses œuvres les plus abouties. C’est son seul Trio avec piano, qui date de la période déjà difficile où les Schumann, vivaient à Dresde, en essayant de traiter les problèmes de santé de Robert. La jeune femme, qui menait, en dépit de ses maternités successives, une active carrière de pianiste internationale, poursuivait alors sa formation de compositrice en travaillant particulièrement la fugue et le contrepoint (elle n’avait sérieusement commencé à composer qu’à l’âge de 25 ans). Au cours de la composition, elle notait dans son Journal que c’était pour elle une grande joie que de donner forme à sa propre musique. Le Trio fut créé à Vienne en 1847, au cours d’une tournée où elle interprétait de nombreuses œuvres de son mari. L’œuvre reçut un accueil critique favorable. « L’œuvre dénote une maîtrise tranquille de la forme que nous n’aurions pas attendu d’une femme » écrivait un critique, dont les propos, quoique sympathiques, passeraient mal de nos jours !
Clara envisageait de dédier ce Trio à son amie Fanny Mendelssohn, la sœur du compositeur, mais celle-ci mourut prématurément de sorte que le Trio resta sans dédicace. La réussite de l’œuvre et son succès encouragèrent peut-être Robert à composer son premier Trio, dès l’année suivante.
Le Trio en sol mineur adopte la forme habituelle des trios classiques et romantiques en quatre mouvements. Nous entendrons le troisième (Andante). Il commence par une introduction de huit mesures confiées au piano solo. Puis, le violon présente l’idée mélodique principale. Au centre du mouvement, les trois instruments jouent des rythmes pointés solidement martelés, ménageant ainsi un contraste émotionnel avec ce qui précède et ce qui suit. Le climat général de ce mouvement a pu être qualifié de « doux-amer. »

Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
Trio pour piano, violon et violoncelle n°2 en mi mineur, op.67
Chostakovitch avait composé un premier trio dans son adolescence, fort réussi quoique peu joué. Le Trio n°2 est en revanche une œuvre de la plus haute maturité. Composé de février à août 1944, au plus fort de la guerre, il est dédié à la mémoire de son plus proche ami Ivan Sollertinski, qui venait de mourir subitement à 42 ans. Le trio s’inscrit donc dans la lignée des trios de Rachmaninov et Tchaïkovski, au caractère élégiaque aussi fortement marqué. A cette époque, la production du compositeur semble se scinder en deux tendances : d’une part des œuvres amples, souvent assez emphatiques, propres à rassurer les autorités soviétiques quant à sa bonne volonté idéologique ; d’autre part des pages instrumentales destinées à un public connaisseur et plus restreint, où se révèle son âme profonde et sa personnalité la plus intime.
Le premier mouvement s’ouvre sur une belle mélodie du violoncelle avec sourdine, suivi en canon par le violon dans le registre grave (Andante). Le thème semble posséder un caractère typiquement russe. Le mouvement se poursuit avec un Moderato débutant par un ostinato lancinant qui va irradier tout le morceau dont le piano souligne le caractère grave.
Le Scherzo qui suit (Allegro con brio), très bref, déploie des traits virtuoses assez tendus dans la tradition de certains scherzos beethovéniens. Le contraste est brutal avec le troisième mouvement, Largo, qui semble, de l’aveu même du compositeur, annoncer d’inévitables catastrophes (Chostakovitch a toujours été fondamentalement pessimiste, en contraste avec l’optimisme obligatoire du régime soviétique). Ce mouvement lent est une passacaille (variations sur une basse immuable, une forme très fréquente à l’époque baroque). Il a pu être comparé à «un rituel liturgique, de lointaine ascendance orthodoxe».
Le finale Allegretto, plus rapide, n’est pas plus joyeux. C’est une sorte de grinçante danse macabre lancée par le violon en pizzicati. Le thème principal, énoncé par le piano, possède un caractère incontestablement yiddish. Cet inquiétant sabbat s’interrompt et l’on réentend au violon le thème de l’Andante initial. Suit un épisode conflictuel et très nerveux où le piano semble s’opposer aux cordes. La lutte s’épuise et le trio s’achève sur un imposant choral en mi majeur (Adagio), énoncé par le piano, comme si le caractère tragique de l’œuvre était enfin conjuré.

Jacques Bonnaure, ex-professeur agrégé de lettres, critique musical.
Ancien collaborateur à La Lettre du musicien, Opéra Magazine et Classica.

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Crédits photographiques
1. Laurent Bugnet
2. Julien Benhammou
3. L’Oiseleur